LE TEMPS VA ET VIENT ET VIRE
Le temps va et vient et vire
Par jours, par mois et par ans,
Et moi, las ! ne sais que dire,
Toujours même est mon désir,
Toujours même sans changer,
J'aime celle que j'aimais
Dont jamais je n'eus plaisir.
Elle n'en perd point le rire,
A moi revient dol et dam,
A ce jeu qu'elle m'inspire PuI
Deux fois serai le perdant,
Il est bien perdu, l'amour,
Qui se donne à l'insensible,
Sil ne touche à sa cible.
Plus jamais ne chanterai,
Je n'écouterai plus Ebbe
Mes chants ne me valent rien,
Ni mes couplets ni mes airs,
Rien que je fasse ou que dise,
Je le sais, ne m'est profit,
Et rie vois pas de remède.
Si la joie m'est au visage,
Moult ai dans le coeur tristesse.
Vit‑on jamais pénitence
Faire avant que de pécher ?
Plus je la prie, plus m'est dure;
Si sous peu elle ne change,
En viendrai au départir
Las, bon amour convoité,
Corps bien fait, si tendre et lisse,
Visage aux fraîches couleurs
Que Dieu de ses mains créa !
Toujours vous ai désirée
Aucune autre ne m'agrée,
D'un autre amour ne veut pas !
Douce femme bien apprise,
Que Celui qui vous forma,
Si gente, m'envoie la joie!
Bernard de Ventadour ( ? – vers fib 1200 ) Fils de boulanger, il fut au XIIe siècle, le protégé du vicomte Eble de Ventadour et de sa femme. Aliénor d'Aquitaine et le comte de Toulouse Raymond V s'intéressèrent à lui. II est peut.étre le plus aimable des troubadours : l'amour courtois fut son unique inspiration.