Le jour ou je vous vis, dame, pour la première fois,
Quand il vous plut de me permettre de vous voir,
Je séparai mon cœur de toute autre pensée
Et toutes mes volontés s’ancrèrent en vous :
Ainsi vous m’avez mis, dame, au cœur le désir
Avec un doux sourire et un simple regard,
Et vous m’avez fait oublier tout ce qui existe .
La grande beauté, le divertissement agréable,
Et le propos courtois et l’amoureux accueil
Que vous sûtes me faire ont volé ma raison
Que depuis lors, dame, je n’ai pu retrouver :
Je vous l’accorde, vous que supplie mon cœur fidèle,
Pour exalter votre valeur et l’honorer
Plus parfaitement que dans aucun amour humain .
C’est que je vous aime, dame, si parfaitement
Que d’en aimer une autre est hors de mon pouvoir ;
Si je viens sagement en courtiser une autre,
Je crois s’éloigner de moi cette intense douleur;
Mais quand je pense à vous que la valeur salue,
J’oublie et je délaisse tout autre amour :
Avec vous, en mon cœur la plus chère, je demeure.
Et souvenez vous, s’il vous plait, du bon accord
Qu’à la séparation vous m’avez fait savoir
J’en eus, dame, le cœur au comble de la joie
Pour l’espérance où vous m’avez commandé de rester :
J’en fus radieux, quoique aujourd’hui le mal s’aggrave :
Quel bien j’aurai, à votre gré, une autre fois,
Belle dame, car je m’en tiens à espérer !
Quel mauvais traitement pourrait m’effrayer,
Pour peu que je pense obtenir en ma vie,
Dame, de vous, petite ou grande jouissance ?
Les peines me sont toutes joie et plaisir
Seulement parce que, je sais, Amour m’accorde
Qu’un fidèle amant doit pardonner un grand tort
Et sagement supporter de la peine pour gagner
Ah ! quand viendra, dame, l’heure où je pourrai voir
Que, par pitié, vous voudriez m’honorer
Ce troubadour du Roussillon, qui écrivit entre 1180 et 1215 , était chevalier.Sa dame était Saurimonda, la femme de Ramon, seigneur de Château-Roussillon.
La légende veut que cet amour se soit soldé tragiquement, par la vengeance du mari jaloux, faisant manger à son épouse infidèle le cœur de son amant .
Au point de daigner seulement m’appeler ami !